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Cette nouvelle a été écrite pour un concours, mais elle n'a pas été primée...
Le thème était imposé, ainsi que la première phrase... particulièrement ringarde ! Mais il faut bien faire avec ...


 


Surprise !...



Elle sentit une présence derrière, elle se retourna...et personne.

Personne.

Bien sûr, à cette heure-ci, à cet endroit-ci, il n'y avait personne, jamais personne.

Elle regarda de nouveau devant elle puis se retourna brusquement, par surprise, avec la vivacité de la truite qui sent se poser juste derrière sa tête une mouche grasse et vrombissante.

Bien sûr, comme la première fois : personne.

D'ailleurs c'était idiot. Quand on marche dans la rue il y a plein de monde, enfin ça dépend des rues, et plein de gens vous regardent. Forcément. Pourtant on ne se retourne pas à tout bout de champ. Et on ne sent rien, même si quelqu'un vous regarde vraiment.

Et peut-être que si quelqu'un vous regarde (vraiment) on ne le sent pas, on ne ressent rien du tout, finalement on ne s'en aperçoit jamais. C'est d'ailleurs une chance.

Alors ça ne veut rien dire, pas la peine de s'embêter pour ça.


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Je me recule et je relis.

Ça ne ressemble à rien, pas de style, pas de souffle, pas de... pas de... je ne trouve même pas le mot décrivant ce qui manque. Zéro pointé.

Je ne vais pas garder ça, tout de même ?

Effacer. "Etes-vous sûr(e) de vouloir effacer le contenu de cette page ? "

Ben oui, gros malin, si j'ai cliqué sur Effacer !....


Je recommence.



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Elle sentit une présence derrière elle, elle se retourna, et aperçut qui s'enfuyait juste au bord de son champ de vision une sorte de monstre, vif, agile, dont elle ne put déterminer la forme exacte ni l'aspect réel. Seul un souvenir visuel d'une grande brièveté, comme un phosphène ultra-rapide, d'un vert vif et presque agressif.

Un frisson la parcourut, de peur mêlée de désir, du désir de voir, de la peur de ne pas voir. Ou le contraire.

Son coeur lui sembla manquer un battement, elle resta figée, pétrifiée, une bonne seconde. Une chaleur envahit sa nuque. Il y eut un bruit.


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Et non, ça ne marche pas non plus.

Les histoires de monstre vert de la XVème Galaxie.... Ce n'est pas mon truc.

En plus, le coup de la peur de voir et en même temps de ne pas voir, cela sent le faisandé. On le trouve déjà dans le Capitaine Fracasse (Théophile Gautier, 1863)


Je recommence. Patience. On reste concentré, on ne regarde pas partout. On regarde son écran.


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Elle sentit une présence derrière elle, elle se retourna et vit Marina qui la regardait en souriant. Marina si brune, si pétillante, avec ses grands yeux sombres qu'elle plissait comme par malice (mais elle savait bien, elle, que c'était surtout par myopie... ).

Elle rendit son sourire à Marina, qui commença de se balancer doucement sur la chaise. Et entreprit de chantonner une vieille chanson de marins. Où pouvait-elle bien l'avoir apprise ? Surtout qu'il y en avait une version disons... sulfureuse ! Etait-ce cette version que Marina avait en tête ? Elle s'arrangeait pour qu'on ne comprît pas les paroles qu'elle fredonnait, c'est sûr qu'elle le faisait exprès. Après tout, il n'y avait dans son oeil peut-être autant de malice que de myopie ?

Marina la regardait toujours, toujours en se balançant, toujours en fredonnant. Dieu qu'elle était belle ! Sa grande robe à volants traînait un peu par terre à chaque fois qu'elle se penchait en avant, et le frottement de l'étoffe sur le dallage rythmait son chant d'une scansion suave et envoûtante.

Marina avait les mains au bord de la chaise, entre les genoux qu'elle écartait. Chaque balancement dévoilait légèrement un décolleté mystérieux qu'on devinait généreux sans excès, d'un grain de peau lisse et blanc, d'une pâleur aristocratique.

Il allait falloir adopter une contenance, on ne pouvait rester ainsi des minutes entières à se regarder, le pouvait-on ? C'était gênant, à la fin ! Gênant mais excitant aussi...



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Et ce qui est encore plus gênant c'est que ça n'avance pas ! Bon sang, ça part comme un roman de gare. Un peu d'exotisme (dans trois lignes on allait le sentir), un peu d'érotisme (c'est presque commencé), deux femmes qui se regardent les yeux dans les yeux, une simple chaise en guise de rocking-chair (il aurait fallu au moins cela -le rocking-chair- ça donne un petit côté "colonial" qui marche toujours. Mais non : une chaise ! ).

Je suis en train de me transformer en Daphné du Maurier ! Laquelle, d'après certaines photos, aurait fait d'ailleurs une très convenable Marina ! Si tant est que la Marina en question ait dû rester convenable... Finalement je ne sais pas ce qu'elle voulait, comment ça allait tourner.

Et encore plus finalement : personne ne le saura jamais parce que la suite ne sera jamais écrite.


On n'en sort pas !


Je monte me faire du café (mon repaire est en demi-sous-sol, l'ancien garage. C'est là que j'écris. Entre autres...)


Quand je redescends, une tasse à la main, j'ai l'impression, non pas qu'on me regarde, ce serait un peu facile, mais que quelque chose a bougé dans la pièce. Ma chaise ? (qui est tellement vieille qu'il est préférable que je ne me balance pas dessus...) La place de la souris ? du clavier ? du dictionnaire sur la table ?

Ce n'est pas réellement perceptible, une impression, comme l'impression de déjà-vu, mais cette fois à rebours : une impression de pas-encore-vu... Qui n'est pas une impression de nouveauté non plus. J'arrête, ça ne mène nulle part, ou alors trop loin. C'est pareil.



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Elle sentit une présence derrière, elle se retourna... Trop brusquement ! Emportée par son mouvement elle perdit l'équilibre sur le sol fraîchement ciré. Tout en tombant (comme dans les films, au ralenti) elle eut le temps de penser : "Cette femme de ménage, cette fois, je la fiche à la porte ! Cent fois je lui ai dit de ne pas mettre autant d'encaustique sur le palier, c'est dangereux..." Le choc fut rude. Très rude.

Quand elle se réveilla il faisait noir, elle se souvint de l'escalier, de la femme de ménage, ah oui ! elle avait senti une présence, et puis un choc terrible. Une terrible douleur à la poitrine, une autre à la tête.

Maintenant le noir. La douleur. L'impression d'abandon. Elle tenta d'appeler mais un ridicule filet de son sortit seulement de son gosier, avec un haut-le-coeur glacé qui la fit frissonner d'effroi. Son bras droit ne lui appartenait plus. De la main gauche elle tâtonna son visage. Il lui sembla lointain, tellement lointain. Son propre visage ! Il lui sembla aussi poisseux. Humide et poisseux.

Au-dessus d'elle, bien au-dessus, dans des régions dont elle ne pouvait avoir idée, une voix. Celle du chirurgien aux urgences.

"Mais elle se réveille ! C'est pas vrai ! Eh ! l'anesthésiste, vous faites quoi ? Dans deux minutes elle est pleinement consciente, vous voyez le tableau ? Vous êtes fou, mon vieux ?"

Grand remue-ménage dans la salle d'opération. Affolement. Des blouses blanches, vertes, qui s'agitent, des bruits d'ustensiles en métal, des cris.



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J'ai oublié de boire mon café, il est froid dans la tasse, la tasse qui est sur la table, la table qui porte cette cochonnerie d'ordinateur avec lequel je me bats depuis des heures, heures que j'ai passées à tenter d'écrire un truc qui tienne debout, qui soit dans mon style habituel, qui puisse porter un titre.

Mais ça ne tient jamais debout, ça ne me ressemble pas, ça n'a pas de suite dans les idées, ou pas de suite autre que convenue. Et je m'obstine à toujours commencer par la même phrase ! Qu'est-ce donc qui peut me faire commencer encore et encore par la même phrase, comme une obsession maladive, et qui plus est par cette phrase-là, déjà obsessionnelle au départ, presque névrotique ? Parce que de toute façon, et c'est vrai, il y a soit quelqu'un qui vous regarde, toujours, soit personne dans tous les autres cas ! Pas logique ? Ben non ! Et qu'est-ce qui est logique, après tout ?


Je remonte me faire un autre café, mais avant je regarde partout. Pour noter mentalement la place de chaque objet. On verra bien, cette fois, si quelque chose a bougé, a changé, s'est transformé, a disparu, ou quoi. Ou quoi ?

Non mais ! (et j'aime le café très chaud).


Quand je redescends, avec la tasse qui me brûle les doigts, j'ai fugitivement l'impression qu'on me suit des yeux. Et qui ? Je suis tout seul dans la maison. Un chat qui me regarde par la fenêtre ? Je jette un coup d'oeil à la fenêtre.

Un passant qui m'observe par la porte vitrée ?

Pas de chat. Pas de passant. Ni personne d'autre. Il faudrait déjà pénétrer dans le jardin lequel est fermé à clef (toujours quand je travaille). La fenêtre est au ras du sol, il faudrait se mettre à quatre pattes, la grande porte vitrée demande de contourner la maison.


Elle sentit une présence derrière elle, elle se...


Elle sentit une présence derrière elle...


Elle sentit une présence...


Voilà, c'est ça qui me tape sur les nerfs. Ça finit par déteindre ! Je tourne la phrase en boucle, et après je crois qu'on m'épie par la fenêtre ou qu'on me suit dans l'escalier.... Quelle misère !



Elle sentit derrière elle comme une présence...


Derrière, une présence se fit sentir...


Derrière elle retourna se elle présence sentit...


Par ordre alphabétique (n'importe quoi !) :


derrière elle elle elle présence retourna se sentit une...


C'est idiot ! Il faut être bien fatigué pour s'amuser à des bêtises pareilles....

Je suis fatigué.



A l'envers ? (je veux dire à contre-pied)


La créature la regardait fixement, jusqu'à ce qu'elle sentît sa présence derrière elle et se retournât.


Plutôt que "la créature" : "Il" ?


Il la regardait fixement... etc....


Rien de changé.


Et qui me regarde, moi ?


Colère.

Je me lève, je fais trois pas dans ma pièce. C'est comme ça quand je n'y arrive pas.

La colère monte. Ne pas taper sur l'ordinateur, c'est l'outil de travail. Et l'impression d'être observé augmente avec la colère. Et la colère avec l'impression idiote d'être surveillé. L'un pousse l'autre, qui fait croître le premier, qui entraîne le second, qui etc...

Ça enfle !


Je donne un coup de pied dans un carton qui occupe un coin. Un gros carton grisâtre, d'un volume et d'une couleur un peu inhabituels.

Ensuite je réalise qu'il ne devrait pas y avoir de carton ici. Surtout un carton comme celui-ci. Qu'est-ce qu'il fait là ? Qui l'a apporté ? Et il contient quoi, ce carton ?


Il sentit une présence derrière lui, il se retourna... Au masculin ça marche aussi ?


Sans le vouloir je me retourne. Quel imbécile !

Et ce carton, ce carton, ce carton débile, c'est quoi ? Il a fait un drôle de bruit quand j'ai donné le coup de pied. Un bruit que je ne connaissais pas. Et pourtant je connais beaucoup de bruits.

Et puis ça a résonné un moment dans l'atelier. Normalement ça ne devrait pas résonner non plus, dans l'atelier. Parce que ce n'est pas si grand que cela, parce que c'est un peu encombré tout de même, que ce n'est pas un endroit qui résonne d'habitude. Pourquoi ça résonne, maintenant, juste aujourd'hui ?


J'ai une sueur froide.


Je me retourne encore. J'essaie d'imaginer la suite. Du texte, de l'histoire.


Elle sentit une présence (un coup d'oeil derrière moi) derrière elle (un autre coup d'oeil), elle se retourna (je me force à ne pas me retourner)...


Elle sentit (coup d'oeil derrière) une présence (coup d'oeil derrière, puis à droite, à gauche) derrière elle (je fais des yeux le tour de la pièce, à toute vitesse), elle se retourna et ..


Je me retourne encore, le plus vite possible.


Mon Dieu !


Je fonce sur mon clavier. J'ai juste le temps d'écrire "Au secou.."......






Niort, 20 septembre 2012.


 
© Henri-Pierre Juguet