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LA MARMOTTE



Il y a dans les montagnes fleuries, aux pentes revêches et rocheuses, dans l’odeur des herbes chaudes et des fleurs précieuses, il y a une boule de fourrure qui se dore au soleil de l’été qui passe.


Palpite un coeur, au coeur de cette boule immobile et tendue, un coeur curieux et lent, avide de la vie et prudent de ses jours. Un coeur animal et chaud se gavant de la vie, goûtant lentement chaque instant de sa fébrilité passionnée et vibrant fébrilement de sa sagesse tranquille.


L’animal est dressé sur ses pattes, son museau frémit, ses vibrisses cherchent dans l’air clair les signes de quelque parfum, de quelque essence odorante qui l’enivrerait. L’animal frissonne voluptueusement des fragrances mellifères que le vent faible et doux lui apporte en cadeau.


Il regarde la vallée, les montagnes, le monde. Parfois il lève les yeux vers le ciel et l’infini, interrogeant sans y croire les immensités transparentes qui mènent au bout du bout des confins de l’inconnu, scrutant les transparences nacrées des nuages nimbés de soleil.


Il écoute de tout son être le chant des ruisseaux et des rus qui courrent sur les galets juvéniles et brillants, colorés de neuf, sautant de pierre en pierre vers des lointains d’océan qu’il ne soupçonnera jamais, il écoute comme on aime, il aime de toute sa candeur, il attend de ses alpes les révélations ordinaires et suaves de réalités quotidiennes.


Le chaud-le froid, la saison qui change, les matins de gelée blanche qui endiamantent les herbes et les buissons, les matins de pierres qui se détachent des pentes et des surplombs animées par le gel qui rompt et brise les roches, l’air qui craque tout à coup et forme des vapeurs subtiles et fugitives, toute la montagne qui d’un coup respire un air nouveau et coupant et voilà que l’inquiétude et l’urgence l’animent.

Aura-t-il le temps ? La saison qui court et s’avance et menace et promet des promesses terribles et furieuses, la saison d’oubli, la saison d’abandon, la saison redoutée, crainte, attendue, la saison blottie, cachée, inconnue et tragique, la saison du repos presque absolu, l’hiver brutal et immobile, furieux, gelé, figé, sapant les monts, l’hiver doucement sans bruit s’avance dans l’insouciance de la fin d’été que baigne encore la lumière éclatante et minée des soleils proches.


Aura-t-il le temps ? Le temps d’amasser, le temps de prévoir l’imprévisible trop bien connu pourtant, le temps d’arriver au bout des chemins de tiédeur, le temps de préparer dans la presse la résurrection des prochaines poussées de printemps et le réveil des sens ?


Presse-toi, petit animal singulier, timide et indiscret. Court et vole et grignotte, amasse pour les temps durs et pétrifiés de froidure les réserves de vie. Emplit de chaleur les coffres de ton sommeil, de la torpeur qui va te gagner. Assure-toi de ton réveil au premières chaleurs qui ressusciteront les montagnes. Emporte dans tes songes les jeunes pousses des bruyères et des sapins bleutés, des gentianes, des fleurs sans nom. Emporte le bruissement des abeilles, le vol lourd des bourdons paresseux, l’éclair des oiseaux qui mourront cet hiver, l’éclat de rire des petits êtres que la nature disperse. Emporte tout dans ton antre, dans ton abri, dans l’univers secret que tu as creusé, caché, invisible, dans l’univers de calme et d’apparent oubli, emporte les rêves que tu as fait. Et viens à ton réveil, Marmotte, nous les raconter dans les rires et les sauts de joie d’un printemps nouveau.



13/09/2003


© Henri-Pierre Juguet